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J’aimerais comprendre comment fonctionne une fiducie familiale. Est-ce que cela vaut la peine ?
– Chantal Fournier

Les plus cyniques répondront que les fiducies servent à protéger les entrepreneurs malveillants lors de manœuvres financières douteuses, ou à aider les gens riches et célèbres à trouver le moyen de payer moins d’impôt.

Vrai, les fiducies ont parfois mauvaise réputation, mais cela tient sur des mythes assez faciles à démonter, démontre aisément la planificatrice financière, notaire et gestionnaire fiduciaire Caroline Marion, de Desjardins. « On s’en méfie, dit-elle, parce que ce qu’on ne connaît pas est toujours épeurant. »

Soyons clairs : globalement, quand on constitue une fiducie, on transfère ses biens à cette nouvelle entité qui en devient propriétaire. Elle est administrée par un fiduciaire et a des bénéficiaires.

Si la personne qui a constitué cette fiducie veut en être l’administratrice, grand bien lui fasse. Mais elle ne pourra pas être seule, elle devra avoir un ou plusieurs cofiduciaires, puisqu’il doit y avoir au moins un administrateur qui n’est ni constituant ni bénéficiaire.

Il existe deux grands types de fiducie – et ça peut paraître un peu brutal, mais il s’agit de celles pour les gens vivants et pour les morts – : la fiducie testamentaire, qui gère les biens de la personne défunte, et la fiducie familiale.

Plusieurs ramifications existent, mais restons dans ces deux branches pour les besoins de la cause : comprendre la raison d’être des fiducies.

Et quelle est-elle, en fait ?

« La fiducie est essentiellement un véhicule de protection et/ou de contrôle », dit Caroline Marion, d’entrée de jeu.

Par exemple ?

« Protéger des actifs contre des créanciers, les bénéficiaires contre eux-mêmes ; protéger les bénéficiaires contre des abus commis par des personnes qui les entourent, protéger le patrimoine de la famille contre des saisies ou des difficultés financières des bénéficiaires… », énumère la planificatrice financière.

On doit bien planifier la constitution de cette entité indépendante pour laquelle il faudra produire une déclaration d’impôt, ouvrir un compte de banque et gérer la comptabilité, précise Caroline Marion. Autre préjugé à mettre à la poubelle : on ne peut pas créer une fiducie sur le coin d’une table quand les affaires tournent au vinaigre.

Mais sa constitution vaut amplement le coup (et les coûts !) lorsque la fiducie est un outil de protection pour le bénéficiaire, selon Caroline Marion.

« Si j’ai un bénéficiaire qui a vraiment besoin de protection, comme un enfant mineur, un enfant handicapé ou un conjoint handicapé, si on parle de handicap intellectuel. Dans ces moments-là, la fiducie est le véhicule de choix, explique Caroline Marion. Parce que ça va permettre à cette personne-là de bénéficier des avantages d’un legs ou d’un don sans qu’on soit obligé de mettre en place une protection forcée par le Code civil qui serait beaucoup moins agréable. Comme une tutelle. »

Quant à cette idée qu’il faut être très riche pour se tourner vers une fiducie, la notaire explique que ça n’est pas le cas. Oui, il faut payer les frais de création, mais ça peut être relativement raisonnable (entre 1500 $ et 2000 $) pour une structure simple.

Pour l’administration, le coût est très variable.

Une société de fiducie exigera des frais plus élevés, mais si c’est un proche qui gère la fiducie familiale, il est même possible que ce soit fait bénévolement.

« Les frais de création et de maintien ne sont pas exorbitants, indique Caroline Marion. Je pourrais avoir 50 000 $ dans une fiducie pour gérer cette somme qui appartient à mon petit-neveu qui en a hérité de son père. Donc non, ça n’est pas que pour les gens riches et célèbres. »

Les fiducies testamentaires

Pourquoi une fiducie testamentaire plutôt qu’un testament ?

« Je vais en faire une parce que j’ai un bénéficiaire que je veux protéger contre lui-même », répond Caroline Marion, qui cite les cas de personnes qui gèrent mal leurs finances, notamment.

La planificatrice voit aussi des cas de bénéficiaires qui pourraient être des proies pour des vautours qui leur tourneraient autour, une fois leur héritage en main. Le fiduciaire aurait dans ce cas la responsabilité de respecter la volonté du constituant. Pour le meilleur ou pour le pire, car si c’est de poursuivre son contrôle post mortem, ce sera le cas, puisque c’est la fiducie qui hérite des biens.

Reste à voir si la personne qui administre la fiducie a un pouvoir discrétionnaire ou non, ce qui est déterminé lors de la création.

Bon à savoir : une fiducie peut être constituée uniquement pour une partie des legs à venir. Le chalet familial, par exemple, si un propriétaire souhaite qu’il appartienne à tous, pour les générations à venir, et qu’il soit à l’abri des problèmes financiers d’un héritier.

Les fiducies familiales

Dans le cas d’entrepreneurs qui constituent des fiducies familiales, il s’agit assurément d’un outil fiscal, maintient Audrey Gibeault, associée fiscaliste chez Lavery, qui précise qu’il y a trois utilités à la fiducie familiale.

La première est qu’elle multiplie l’exemption sur le gain en capital, étant donné que chacun des bénéficiaires y aura droit.

Il faut toutefois savoir que cette exemption s’applique une seule fois dans la vie d’un entrepreneur.

Une entrepreneure en série n’aura pas cette exonération chaque fois qu’elle fait un gain en capital. « Mais c’est un montant qui est indexable », précise Audrey Gibeault. Donc il est possible de bénéficier de ce rehaussement, dit la fiscaliste, qui mentionne plusieurs subtilités dans l’application de ces règles.

« Le deuxième avantage, c’est la limitation de l’impôt en cas de décès », explique-t-elle. Et le troisième concerne les transferts d’entreprises familiales.

« Essentiellement, ça fait en sorte que lorsque des actions sont détenues par la fiducie, elle peut décider d’attribuer de façon générale les actions, par exemple, à la prochaine génération, sans impact fiscal », explique Audrey Gibeault, selon qui cela devient un outil très intéressant pour intégrer la relève.

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